Illustration : Lac de Forlet (Bas-Rhin, Soultzeren, 2013) © BRGM - Charline Huart.
A découvrir dans cet article !
- Aperçu du Massif vosgien
- Le constat des sécheresses répétées
- Des particularités hydrogéologiques ?
- Un moyen de cartographier les zones productives au sein du socle vosgien ?
- Quel impact du changement climatique sur la ressource en eau ?
1. Aperçu du Massif vosgien
Le Massif des Vosges ou Massif vosgien est une chaîne hercynienne de moyennes montagnes fortement érodées, où les sommets arrondis s’appellent des « Ballons », situé au Nord-Est de la France, et qui sépare le Plateau lorrain à l’ouest de la Plaine d’Alsace à l’est. On y distingue géologiquement et topographiquement deux territoires :
- les Vosges Gréseuses ou Basses Vosges, situées au nord et à l’ouest qui sont des collines de forme conique couvertes de forêts et atteignant 500 mètres d’altitude. Elles sont entaillées par des vallées encaissées qui se prolongent au sud-ouest par un plateau appelé « La Vôge » ;
- les Vosges Cristallines ou Hautes Vosges également dénommé « socle vosgien », situées au sud, où les ballons peuvent atteindre une altitude de plus de 1400 mètres, et qui sont entamées par des vallées glaciaires.
Du point de vue géologique, le socle vosgien est donc constitué essentiellement de granites et de roches métamorphiques paléozoïques, ainsi que des roches sédimentaires et volcaniques très peu métamorphiques d’âge Carbonifère.
Le socle vosgien a été délimité dans le cadre du référentiel hydrogéologique français, traduit dans la BD LISA - Base de Données des Limites des Systèmes Aquifères - sous le n°231 (fiche BD Lisa 231) - « Socle du Massif vosgien dans le bassin Rhin Meuse et au nord du bassin Rhône Méditerranée ».
2. Le constat des sécheresses répétées
Les périodes de sécheresse 2003, 2011, 2015 et plus récemment 2018, 2019, 2020 et 2022 ont montré la sensibilité des captages et des rivières du socle vosgien pendant les périodes d’étiage et ont amené les services de l’État, ainsi que l’ensemble des acteurs du territoire, à s’interroger sur les mesures à prendre en cas de sécheresse prolongée.
De nombreuses communes et habitats isolés (hameaux, fermes auberges, etc.) sont alimentés par des sources. Or, les gestionnaires en charge de l’alimentation en eau ont dû faire face à de fortes baisses de débit de ces sources, voire un assèchement de certaines d’entre elles au cours des derniers étés. Les communes situées dans les vallées ont souvent recours à des forages captant les nappes alluviales d’accompagnement des cours d’eau. Or, selon les secteurs, des signes de baisse des niveaux piézométriques ont été constatées.
C’est dans ce contexte, qu’un travail d’envergure a pu être mené sur la connaissance des ressources en eau souterraine du socle vosgien. Le BRGM en partenariat avec l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse, la DREAL Grand-Est, la Région Grand-Est, le Commissariat à l’aménagement du Massif des Vosges (Fonds National d’Aménagement et de Développement du Territoire - FNADT) et l’Université de Lorraine (Centre de recherche en géographie LOTERR) ont décidé de mener une étude sur les ressources en eau dans les Vosges de manière collaborative dans le cadre d’un projet de service public. Les travaux menés entre 2018 et 2021 ont donné lieu à deux rapports publics :
- Le volet 1 de l’étude a été consacré à la caractérisation des ressources en eau (Chabart et al, 2020),
- Le volet 2 s’est intéressé plus spécifiquement à l’impact du changement climatique sur la ressource en eau (Chabart & Vergnes, 2021).
Pour en savoir plus : Plaquette de présentation synthétique du programme d’étude
3. Des particularités hydrogéologiques ?
Les formations cristallines des Vosges ont une perméabilité de fractures développée dans les zones tectonisées et les ressources disponibles sont constituées par des émergences de nappes locales liées au développement de profils d’altération.
Les circulations d’eau souterraine alimentées par les précipitations reviennent à la surface par l’intermédiaire des sources ou rejoignent directement les nappes de fond de vallées.
Le débit moyen des sources excède rarement le litre par seconde à l’étiage et il est directement influencé par les précipitations.
Les formations sédimentaires (alluvions, colluvions, moraines) peuvent localement, au droit des principales vallées, constituer des ressources en eau significatives.
Mais pour l’essentiel, sur ce périmètre du socle vosgien, les ressources en eau souterraine sont localisées dans les aquifères de socle, pour lesquels les connaissances générales sur le mode de fonctionnement se sont considérablement développées ces dernières années grâce à la mise en œuvre de méthodes combinant les aspects « acquisition de données de terrain » et « modélisation » appliquée à la caractérisation géologique-hydrologique-hydrogéologique.
Malgré l’existence d’études détaillées sur la caractérisation géologique, le fonctionnement hydrologique et hydrogéochimique de certains bassins versants, aucun travail d’envergure n’avait été mené sur la connaissance des ressources en eau souterraine du « socle vosgien » au sens large à l’échelle des trois territoires (Alsace, Lorraine, Franche-Comté), des cinq départements (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Vosges, Territoire de Belfort, Haute-Saône) et des deux masses d’eau souterraine (CG003 sur le bassin Rhin-Meuse [superficie 3094 km2] et son prolongement sur le versant Rhône Méditerranée DG618 [388 km2]).
4. Un moyen de cartographier les zones productives au sein du socle vosgien ?
Jusque vers la fin des années 1990, on considérait que dans les roches « cristallines » l’eau souterraine était contenue dans des couloirs de fracturation subverticaux hérités de l’histoire tectonique, l’eau percolant depuis le sol. Dans cette vision, les aquifères, subverticaux, étaient isolés les uns des autres.
A partir de 1998, les travaux de recherche menés par le BRGM (Wyns et al. ,2004 ; Maréchal et al., 2003 ; Lachassagne et Wyns, 2005 a et b ; Dewandel et al., 2006 ; Lachassagne et al., 2011 ; Wyns et al., 2012 et 2015) ont permis d’élaborer un nouveau concept d’aquifère de socle. Dans ce modèle, l’essentiel de l’eau souterraine est situé dans l’horizon fissuré d’anciens profils latéritiques : l’aquifère est horizontal et connecté, on a une nappe véritable analogue à celles que l’on trouve dans les roches sédimentaires fissurées. Sous les plateaux, lorsque l’on s’éloigne des vallées incisant le profil d’altération, la surface de la nappe libre peut remonter dans les altérites .
- Le nouveau concept d’aquifère de socle développé depuis 1998 (d’après R. WYNS)
Toutefois, ces altérites étant riches en argile , elles sont peu perméables et ne permettent pas d’extraire de l’eau par forage . La zone productive est constituée par l’horizon fissuré et les couloirs de fracturation préexistants, à condition que ceux-ci soient connectés au réservoir principal.
Les nombreuses études géologiques et hydrogéologiques menées ces dernières années en France ou à l’international ont démontré que l’horizon fissuré se développe dans les roches à minéralogie favorable, c’est-à-dire celles contenant de la biotite (mica noir), du pyroxène ou de l’olivine. Ces minéraux ont en effet la propriété d’augmenter de volume lors de leur transformation en minéraux d’altération. Dans le cas de la biotite, cette augmentation de volume est de l’ordre de 40 %. D’autre part ces études ont permis de déterminer que l’essentiel des ressources en eau souterraine des terrains cristallins est situé dans l’horizon fissuré, avec des porosités efficaces de 1 à 5 % et des perméabilités de 10-4 à 10-6 m/s (propriétés décroissant du haut vers le bas) et que l’aquifère principal est généralement alimenté par la saprolite qui joue un rôle capacitif.
- Cartographie du potentiel des roches à s’altérer, traduisant le potentiel aquifère (Chabart & al, 2021)
L’étude du socle vosgien s’inscrit dans la continuité des recherches précédemment menées en contexte d’aquifère de socle. Des reconnaissances de terrain ont été menées par des géologues du BRGM en 2018 et 2019 afin de préciser certaines caractéristiques des roches constituant le socle vosgien et d’étudier le contexte tectonique et morphostructural des sites de forages particulièrement productifs. L’objectif était de déterminer quel type de structure géologique contribuait au débit de ces ouvrages.
Les résultats obtenus sur le socle vosgien, sont les suivants :
- Les roches basiques et ultrabasiques, où les minéraux gonflants sont le pyroxène et l’olivine, occupent des superficies restreintes et n’offrent donc que peu d’intérêt en terme de potentialité pour la ressource en eau ;
- Les granites et les roches métamorphiques forment l’essentiel des roches cristallines du socle vosgien, mais leur intérêt en hydrogéologie dépend de la présence et de l’abondance de biotite ;
- La mise en œuvre de campagnes de terrain avec identification in-situ de la présence et de l’abondance de minéraux gonflants tel que la biotite dans les formations de socle a permis la réalisation d’une carte d’altérabilité ou plus exactement de favorabilité à la présence d’un profil d’altération significatif d’un potentiel aquifère . Elle montre la probabilité de trouver dans les profils d’altération un horizon fissuré susceptible de constituer un aquifère ;
- Un certain nombre de filons de roches non ou peu altérables (quartz, microgranite) peuvent être fracturés s’ils sont encaissés dans des formations favorables (riches en biotite) au niveau de l’horizon fissuré et des altérites de ces formations. Dans ce cas, les filons peuvent jouer le rôle de drains : un certain nombre de sources paraissent liés à de tels filons, même dans des formations a priori peu favorables (schistes carbonifères de la série du Markstein au sud et au sud-ouest de Metzeral) ;
- La carte de favorabilité constitue un outil d’aide à la recherche de sites favorables pour l’implantation de nouveaux forages d’eau des zones à l’écart des failles bordières, dans des formations classées favorables, très favorables ou extrêmement favorables, et à proximité des surfaces de discordance (discordance anté-Permien ou anté-Trias), de manière à recouper l’horizon fissuré (WYNS, 2021).
5. Quel impact du changement climatique sur la ressource en eau ?
La mise en œuvre de modélisations, sur 37 sous bassins versants délimités au sein du socle vosgien, a permis d’évaluer l’impact du changement climatique sur la base de scénarios climatiques mis à disposition par Météo France (DRIAS).
- Impact du changement climatique sur la recharge des nappes (Chabart & Vergnes, 2021)
- Impact du changement climatique sur le débit des cours d’eau (Chabart & Vergnes, 2021)
Des disparités mensuelles importantes sont à noter, avec notamment en moyenne multi-scénarios à l’horizon 2100 une baisse des débits sur la période printemps-été (jusqu’à - 40 % de déficit en juillet) et une augmentation des débits sur la période automne-hiver (jusqu’à + 16 % d’excédent en janvier).
Ainsi selon les projections étudiées, des tensions croissantes sur les usages de la ressource en eau dans le futur pourraient par conséquent être observées sous l’effet du changement climatique notamment en période de basses eaux.